AGIR - 
communautés et biodiversité au Sénégal

Sous la lumière brumeuse de la saison des pluies, le Sénégal respire autrement. Les rizières s’étendent à perte de vue, les chemins deviennent fleuves, et le ciel se confond parfois avec l’eau. C’est dans cette atmosphère dense et vibrante que nous avons parcouru trois réserves naturelles communautaires : Tocc-Tocc, Palmarin et Kalissaye. 
Ce voyage s’inscrivait dans le cadre du programme AGIR (Appui à la Gestion Intégrée des Ressources) porté par la LPO France, en appui à ses partenaires sénégalais et régionaux : Nature-Communautés-Développement (NCD), la Direction des Parcs Nationaux (DPN) et BirdLife International.
L’objectif : documenter visuellement ces territoires où la conservation et le développement local avancent ensemble.
Réserve Naturelle Communautaire de Tocc-Tocc 
Au nord du Sénégal, sur les rives occidentales du lac de Guiers, la RNC de Tocc-Tocc s’étend comme une poche de vie au cœur des steppes sahéliennes.
La saison des pluies vient à peine de s’installer : de grosses averses s’abattent sur la plaine, gonflant les mares et saturant l’air d’une moiteur étouffante. Les herbes montent haut, gorgées d’eau, et le vent soulève par instants des effluves de terre chaude et de vase.
Dans le calme des marais, les Lamantins d’Afrique et la Péluse d’Adanson trouvent refuge dans les eaux de la réserve, silhouettes furtives d’un monde paisible et fragile. Ces deux espèces aquatiques, à la fois emblématiques et menacées, symbolisent la richesse biologique du lac de Guiers et la mission essentielle de la RNC de Tocc-Tocc dans leur préservation.Dès le matin, les écogardes et les habitants se mobilisent pour entretenir le site. En rangées serrées, faucille à la main, ils coupent patiemment les typhas envahissants qui asphyxient les marais.
Ce travail minutieux permet de désengorger les zones humides, offrant à nouveau aux oiseaux d’eau des espaces où se nourrir et se reposer. Une fois séchées au soleil, les tiges sont transformées en un charbon écologique, une innovation locale qui donne une seconde vie à cette plante invasive — bénéfique à la fois pour la réserve et pour les villages environnants.
Autour d’eux, les euplectes, les guêpiers et d’autres espèces se livrent à leurs parades nuptiales dans un ballet éclatant. Leurs plumages flamboyants se mêlent aux herbes hautes, éclats rouges, jaunes et dorés vibrant sous le vent chaud du Sahel. Plus haut, les Pygargues vocifères planent au-dessus du lac, lançant leurs cris puissants qui résonnent à travers les plaines — un son grave et profond qui, à lui seul, évoque toute l’Afrique.
Créée en 2011, la RNC de Tocc-Tocc est la plus jeune du pays. Ici, les visiteurs se font très rares : malgré son potentiel écologique remarquable, elle demeure encore peu fréquentée, éclipsée par la renommée du parc national des Oiseaux du Djoudj, situé à quelques dizaines de kilomètres.
Réserve Naturelle Communautaire de Palmarin
Sur la côte atlantique, au cœur du delta du Sine-Saloum, à une centaine de kilomètres au sud de Dakar, la RNC de Palmarin s’étend sur plus de 10 000 hectares, entre sable, mangroves et lagunes salées.
Modelé par les marées et les vents, ce territoire mouvant change sans cesse de visage, sa lumière sculptant à chaque instant de nouveaux reliefs sur les tanns et les palétuviers.
La saison des pluies y exprime toute sa force : le ciel s’assombrit, de brusques averses traversent la plaine, puis une accalmie soudaine révèle le miroitement des eaux et la teinte argentée des palétuviers. Dans cette moiteur lourde, la vie s’agite. Les guêpiers, les tisserins et les vanneaux animent les herbes humides, tandis que les laridés et autres limicoles investissent les vasières pour s’y nourrir ou s’y reposer.
Ici, les communautés locales partagent leurs efforts entre la replantation de palétuviers, afin de régénérer la mangrove et de freiner l’érosion côtière, et la production de sel, organisée autour des puits salins gérés en grande partie par une association de femmes des villages alentour.
Palmarin est sans doute la plus accessible des réserves communautaires du pays, mais aussi l’une des plus vivantes. Ici, l’écotourisme s’invite au rythme tranquille des charrettes qui transportent les visiteurs à travers les tanns. Les écoguides locaux partagent leur connaissance du territoire, des mangroves et de leur rôle vital dans la reproduction des poissons et des oiseaux d’eau.
À la tombée de la nuit, certaines charrettes s’enfoncent plus loin encore, vers un site reculé de la réserve. Les visiteurs s’y rendent dans un silence attentif, dans l’espoir d’apercevoir la sortie des hyènes tachetées.
Lorsque le soleil disparaît et que la lumière se charge d’ocre et de brume, leurs cris résonnent à travers la savane salée — rauques, puissants, presque irréels.
Ce moment suspendu, entre fascination et respect, reste gravé dans la mémoire de ceux qui ont la chance d’y assister.
La RNC de Palmarin, créée en 2001, est aujourd’hui considérée comme un modèle d’intégration entre nature et communauté. Elle démontre qu’une gestion participative, patiemment construite, peut à la fois préserver les paysages et offrir de nouvelles perspectives économiques à ses habitants.
Louise Daba Sarr
Louise Daba Sarr
Lieutenant Lamine Loum
Lieutenant Lamine Loum
Réserve Naturelle Communautaire de Kalissaye
La route vers la Basse-Casamance est longue. Après plusieurs heures de voyage et la traversée de la Gambie, la RNC de Kalissaye se dévoile enfin : un vaste labyrinthe vert où l’eau, la mangrove et la lumière s’entremêlent.
Après une trentaine de minutes de piste cahoteuse en 4x4, nous atteignons l’embarcadère et montons à bord d’une pirogue, guidés par les écoguides de la réserve. Le départ s’effectue dans un chenal étroit qui serpente entre les palétuviers avant de déboucher sur des bras plus larges du fleuve.
Ici, la terre et la mer se confondent, dessinant un dédale mouvant d’îlots et de bolongs où chaque virage semble ouvrir un nouveau monde.
Lorsque la pirogue ralentit, la mangrove se met à parler : le claquement sec des coquillages fixés aux racines des arbres rythme les chants des oiseaux. L’air est lourd, saturé de chaleur, d’humidité et de sel.
On se faufile dans le dédale verdoyant. À chaque virage, un héron s’envole, un martin-pêcheur file au ras de l’eau, un Palmiste africain nous observe depuis sa branche. Puis la végétation s’ouvre soudain sur la héronnière de Kassel : un tumulte d’ailes, de cris et de mouvements. Une colonie grouillante de vie où hérons, spatules, ibis, aigrettes et pélicans cohabitent et élèvent leurs progénitures dans un ballet aérien incessant.
Dans ces forêts amphibies, la nature semble à la fois vulnérable et indestructible. Mais c'est vue du ciel que la réserve prend toute sa grandeur. Le drone révèle l’immensité des méandres, la densité des palétuviers et le contraste entre la vase sombre et les reflets argentés de l’eau.
Au-dessus de nous, les pélicans et les Balbuzards pêcheurs s’interrogent sur cet étrange oiseau mécanique qui survole leur royaume, avant de reprendre leurs activités.
Créée en 1978, la RNC de Kalissaye couvre plus de 30 000 hectares de mangroves, de vasières et d’îlots sableux.
Ce sanctuaire, parmi les plus préservés et les plus inaccessibles du pays, joue un rôle essentiel dans la reproduction des oiseaux, la stabilisation des côtes et la préservation des ressources halieutiques.
Les gardes veillent à cet équilibre fragile, alternant sensibilisation, suivi de la faune et lutte contre la déforestation et la surpêche.
Capitaine Bélal Diedhiou
Capitaine Bélal Diedhiou
Du lac de Guiers aux mangroves de Casamance, ces trois réserves communautaires révèlent la diversité exceptionnelle des milieux naturels sénégalais : zones humides, lagunes, tanns et forêts côtières forment un vaste réseau d’équilibres écologiques.
Partout, les communautés locales jouent un rôle essentiel. Elles restaurent, protègent et inventent de nouvelles formes d’activités durables : artisanat, écotourisme, replantation, valorisation des ressources naturelles.
Au-delà de la beauté des paysages, ces territoires incarnent une autre manière de vivre la conservation — fondée sur la transmission, l’autonomie et la fierté de préserver un patrimoine commun.